Rares sont les entreprises qui fêtent leurs 110 ans, tout en étant encore en activité. Mais c’est le cas de Clemessy à Mulhouse. Et les élus retraités du comité d’entreprise ont pris l’initiative d’en faire une fête. Avec le soutien de leur direction. Les retraités ont été invités à participer à un grand moment de mémoire. Témoignages.
Eligio Macuba et Roger Tettamanzi, tous d’eux d’anciens syndicalistes CFDT ont accueilli plus d’une centaine de retraités pour une après-midi d’échanges autour de souvenirs, la plupart très joyeux. Des hommages très appuyés ont été rendus à André Clemessy que quasiment tous ont connu. Ce capitaine d’industrie qui a fait grandir l’entreprise et dont la devise tenait en trois mots : formation, information et considération de l’homme. Pour lui, l’homme devait s’épanouir et éprouver de la joie au travail.
Mais derrière ces grands mots, il y avait une réalité parfois différente. Ainsi Antoine précise : « André Clemessy disait que le jour a 24 heures et que si cela ne suffisait pas, on pouvait travailler la nuit ».
« On travaillait 45 heures, 60, 65 heures et parfois le dimanche et alors notre directeur M. Clerc nous rendait visite l’après-midi avec son épouse, il apportait un thermos de café et un biscuit », renchérit Émile.
Avec le temps, les souvenirs se sont adoucis et les retraités n’en gardent que le meilleur. André raconte « en mai 68, au moment de la grève générale, nous étions devant l’usine. M. Clemessy a dit que ceux qui voulaient rentrer pouvaient rentrer et que ceux qui ne voulaient pas pouvaient partir. Eh bien tout le monde est entré. »
Eligio Macuba, avec sa fibre syndicale d’ancien secrétaire du comité d’entreprise a beau demander des témoignages sur les conditions de travail, voire la souffrance au travail, les retraités gardent le sourire.
Dora raconte comment Clemessy avait décroché un contrat en Russie. « Le monteur est parti d’un coup. On n’avait pas eu le temps de lui faire un visa, de prévenir l’entreprise de son arrivée. Clemessy était en panique. A la frontière, le monteur a été arrêté, mis en prison et chaque matin, il était amené dans l’entreprise pour travailler puis reconduit en prison. Au bout d’un mois, il est revenu. »
L’investissement de ces anciens salariés était total. « En 1964, notre directeur M. Clerc nous a envoyés pour refaire un moteur. Il nous a dit qu’on devait travailler à 4 pendant huit jours. C’était aux alentours de Pâques, nous sommes rentrés le 15 août », se souvient Gérard.
Et toujours cet hommage à la générosité de M. Clemessy ; « Pendant un an Clairefontaine à Illzach avait conservé les cahiers qui ne pouvaient pas être vendus. Il les achetait pour les faire envoyer en Afrique. Il faisait envoyer aussi du matériel médical, des lits, des chaises, des fauteuils pour handicapés qui étaient récupérés par un ancien ministre africain qui habitait Illfurth », ajoute Marcel.
Ou encore Émile qui remarque : « on croisait M. Clemessy à la Dentsche, nos anciens locaux. Un jour il m’a dit, ramasse cette vis, elle a été au début de ma fortune ».
Bien sûr, avec toute sa sagesse, Eligio Macuba rappelle que l’entreprise a traversé de grands bouleversements et que si l’entreprise a fonctionné, ce n’était pas juste parce qu’elle avait des clients, mais parce que les salariés ont investi de leur temps, de leur travail, de leur santé. « En 1999, nous avons subi la première vente à EDF, avant de passer chez Dalkia puis Eiffage maintenant. Les menaces de dislocation de l’entreprise ont été sérieuses », a-t-il rappelé.
Les 110 ans d’histoire de Clemessy, avec ses dates clefs, les photos et les coupures de journaux font partie d’une exposition qui se tient dans le hall d’entrée de Clemessy pendant quelques jours encore.
« Nous avons fait un énorme travail qui a commencé en 1995 quand nous avons fêté les 50 ans du CE. L’entreprise nous avait alors prêté tous les originaux des PV de CE de 1945 à 1969. La direction actuelle a également soutenu notre démarche, aucune virgule n’a été changée dans les textes, alors qu’ils font état des luttes syndicales », se félicite Eligio Macuba.
Ce travail réalisé autour de l’exposition s’est noué autour d’un premier groupe de 80 personnes qui ont fourni témoignages et documents. Ce premier groupe a été élargi à la centaine présents pour cet après-midi témoignages. Au regard du succès remporté, la petite équipe réunie autour d’Eligio Macuba, dont Roger Tettamanzi et Dolores Ventorosi, va poursuivre sur la même voie. Au bout du chemin : un livre promis pour la fin 2019.